Amis du Musée Soulages : la parole de Benoît Decron

Mes chères et chers Amis,

L’incertitude ambiante engendre de nombreuses questions sur les évènements à venir au musée Soulages.

Benoît Decron à bien voulu y répondre en nous apportant un éclairage complet sur la période présente et les prochains mois.

Je le remercie d’avoir répondu à nos questions dans cette lettre aux Amis.

Bien amicalement

Bernard CAYZAC
Président


SCENARII DU MUSÉE SOULAGES

La crise sanitaire, comme vous le savez, n’épargne rien, ni personne : il est logique que le monde de la culture, en particulier de l’art et des musées, soit sensiblement touché par ce qui se passe. Nous regrettons qu’au milieu des informations dont on nous gratifie, au milieu des rodomontades politiques, la culture n’existe pas ou prou. Bien entendu personne ne lit de livres, ni ne fréquente les salles de cinéma et de spectacles. Il y aura bien entendu des choses à revoir si notre société humaine voit au-delà des jeux du profit et du pouvoir, jeux survoltés par l’ineptie d’une communication qui se mange la queue.

Concernant simplement le monde des musées -qui nous concerne au premier chef- subsistent encore des zones d’ombre et des incertitudes, sur la reprise de nos activités, sur la réception des publics, notamment des groupes scolaires, sur le travail de préparation des expositions et de la programmation, la conservation préventive et la recherche scientifique. C’est un phénomène général.

Le téléphone arabe bourdonne entre les musées, la DRAC nous informe au mieux.

Le musée Soulages a été fermé au public le samedi 15 mars dernier : il devenait sans objet, futile, de désinfecter à heure régulière les rampes, les poignées de portes et les vitrines… Ce dernier jour, nous avons accueilli 200 visiteurs environ. Les personnels du musée sont tous, soit en autorisation exceptionnelle d’absence (y compris la situation particulière des agents qui ont des enfants à garder), soit en télétravail (administration, médiation, scientifique, bureaux), sans aucune incidence négative sur le traitement.

Je tiens à souligner le sens du service public et le dévouement de l’équipe dans ces moments exceptionnels. Chacun est mobilisé. Une cellule restreinte veille sur le musée pour une surveillance de tous les jours (logistique, sûreté, sécurité), des agents gèrent la vie essentielle du musée comme la paye, pour les documents officiels, la comptabilité… Les membres de l’équipe ont pris en main la mission de médiation et de de communication : tous les jours vous trouverez sur le Facebook du musée des fiches illustrées, des tutos, des billets d’humeur, sans oublier des liens pouvant momentanément satisfaire les addicts à la culture. La vie continue de plus belle. Ré-ouvrir sera une fête.

Un établissement Public Administratif (EPA) comme le nôtre permet cette stabilité. Avec le président Alfred Pacquement, nous avons travaillé à installer ces dispositions transitoires et à préparer l’avenir d’une manière raisonnable. Les décisions sont partagées avec le bureau de l’EPPC, à savoir les vice-présidents représentant les quatre partenaires institutionnels ; M. Michel Roussel, nouveau Drac Occitanie, M. Stéphane Bérard, la Région Occitanie, M. Jean-François Galliard le Conseil Départemental de l’Aveyron, M. Jean-Philippe Sadoul la Communauté de Communes Rodez agglomération.

Nous nous sommes attachés essentiellement à ajuster notre budget qui, immanquablement, se trouve amputé de recettes (de la mi-mars au 15 juillet, en principe). C’est un fait établi et rassurant que l’EPCC avec ses quatre partenaires, nous permet d’assurer le fonctionnent du musée, notamment sur le volet RH. L’EPCC permet à la fois la souplesse et la collégialité.

L’exposition Fernand Léger. La vie à bras-le-corps initialement prévue en été 2020 est repoussée en été 2021, à des dates analogues. Pour les raisons de force majeure (déficience temporaire des autres institutions, entreprises à l’arrêt, transports gelés…). Nous ne sommes pas assurés que le 15 juillet sera la date de réouverture des musées en France. Il fallait se montrer raisonnable. Vous imaginez bien qu’il est difficile d’interrompre ainsi un projet aussi remarquable : nous l’avons monté avec mon collègue et ami Maurice Fréchuret : d’ores et déjà nous avions décroché des prêts essentiels en France et à l’étranger, épaulés très sérieusement par le Musée national d’art moderne – Centre Georges Pompidou et le musée national Fernand Léger de Biot. Cette exposition chère à Pierre Soulages – qui a bien connu FL – bénéficiera d’un ensemble important d’œuvres, huiles sur toile, papiers (gouaches, dessins, fusains), d’éditions, d’une publication conséquente, de films, etc. L’exposition, La vie-à bras-le-corps, va retracer l’itinéraire de Léger sur trois thèmes majeurs : la ville, le monde du travail et les loisirs, soit une sorte de rétrospective de 1910 à 1955.

« Je n’ai aucun goût. J’entends par là que je ne sens pas les nuances. Je ne vois pas un noir qui n’est pas tout à fait noir ou un blanc qui n’est pas tout à fait blanc. Je ne sens que les contrastes, la force. »
Fernand Léger

Aussi, nous avons prolongé l’exposition Femmes années 50. Au fil de l’abstraction, peinture et sculpture jusqu’au 31 octobre 2020. Cette exposition avait déjà connu un succès de fréquentation (près de 20 000 visiteurs depuis son ouverture au public) et vues les circonstances actuelles, il aurait été dommage de ne pas la poursuivre. Je remercie chaleureusement les prêteurs, les musées, les galeries, les artistes et les particuliers de nous avoir permis cette prolongation. Avec les amis du musée Soulages, nous veillons à programmer à nouveau les conférences et la lecture du livre de Shirley Goldfarb les Carnets de Montparnasse par la comédienne Caroline Loeb.

Le parcours Pierre Soulages, Le Louvre, etc est également prolongé jusqu’au 30 août : vous pourrez voir le Prince de Gudea, une statue mésopotamienne taillée dans la diorite, et vieille de 4000 ans, les estampes de Goya et de Rembrandt, le lavis de Victor Hugo, des œuvres qui composaient l’intérêt du jeune Soulages. Vous verrez aussi des études dessinées du jeune peintre, trois académies qu’il réalisa pendant la guerre au fusain, à l’école des beaux-arts de Montpellier. Un autre parcours en salles permanentes sera consacré au Japon, avec notamment l’exposition du vase de Sèvres de P. Soulages (socle offert par les Amis du musée).

Tout l’été, le musée Soulages sera animé par de nombreuses visites guidées qui porteront aussi bien sur les collections permanentes (Connaissez-vous Soulages ?) que sur l’exposition temporaire. Christophe Hazemann a fédéré autour de lui une équipe de médiateurs qui vont faire vivre le musée avec variété. Vous vivrez différemment la visite du musée Soulages.

A l’occasion de la réouverture du musée, celui-ci connaîtra donc quelques modifications au sein de l’accrochage, avec quelques dépôts supplémentaires. Il nous importe que le musée soit régulièrement modifié afin de susciter l’intérêt et la curiosité du visiteur qui croit souvent qu’un accrochage existe une fois pour toutes.

Nous préparons pour cet hiver une exposition de l’artiste Gilles Barbier, un multi plasticien contemporain et un parcours dans les salles du Chat de Philippe Geluck, sous le signe de la transgression et de l’humour.

Souvent, vous nous avez posé la question. Comment vont Pierre et Colette ?

Pierre et Colette Soulages vont bien et attendent la fin du confinement aussi tranquillement que possible. Le peintre m’a fait remarquer que son travail réclame de la tranquillité et une relative solitude… L’atelier de Sète ramène à cette paix. Le temps qui compte pour Soulages s’établit, quoi qu’il en soit, davantage comme un étant donné, un état immédiat, que comme une durée, une règle à calcul. C’est une des raisons pour laquelle il s’est intéressé aux productions d’anciennes civilisations, celles de mondes enfouis finalement atemporels à force de mystères et d’incompréhensions (celles de l’homme contemporain). Une sorte de temps immobilisé dans l’espace de la composition. Actuellement Pierre Soulages met son temps à profit pour se reposer, ranger l’atelier, pour réfléchir évidemment à de futurs projets.

Depuis onze ans jour pour jour, je me réjouis d’être ici, en Aveyron, à Rodez, d’avoir à mes côtés les Amis du musée Soulages qui par leur aide, leur enthousiasme, le temps passé (encore) apportent beaucoup à l’institution. Profonde gratitude. Ce n’est pas ici le lieu de reprendre par le menu toutes les actions menées en commun dans l’originalité et la bonne humeur. Travail d’équipe évidemment, celle des gens du musée et celle des Amis. L’heure n’est pas aux bilans, mais à l’avenir partagé par tous.

Il reste des choses à faire, tant mieux.

« Hélas, dans l’état actuel de la science, nous devons emporter les articles finis, mais ne croyez pas que l’homme sera toujours victime des circonstances »
Henry David Thoreau
, le Paradis à re(conquérir),1845

Benoît DECRON, le 29 avril 2020

e3cc5e05-ac5b-4a18-8c08-844dc2c15b14