Hommage à Pierre Soulages – Ausgewählte Arbeiten aus dem graphischen Œuvre

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Extrait du catalogue

Pierre Soulages

Pierre Soulages a toujours considéré son œuvre imprimé (eaux-fortes, lithographies, sérigraphies et papiers formés comme des créations à part entière, à l’égal de ses peintures sur toile et sur papier. Son ami, le peintre Hans Hartung, l’oriente en 1951 vers l’atelier de Roger et Madeleine Lacouriére, Il s’initie à l’eau-forte, mais, comme souvent, le peintre se passionne pour la technique qu’il fait sienne, une technique reflétant ses expérimentations. Il transforme. Sous l’action répétée de l’acide, la matrice en cuivre perd son format rectangulaire, défoncée, découpée, percée, criblée de trous… Le passage en presse – prés de 700 kg de pression- enfonce la matrice gravée dans un papier tendre et immaculé : la cuvette, profonde, met en valeur les teintes brunes, orange et bronze choisies par artiste. Le papier conserve sa matérialité; Les eaux-fortes de Pierre Soulages témoignent, comme ses peintures, d’une aventure en marche, de recherches auxquelles il associe le hasard. Elles emprisonnent sur une même surface, en un instant T, le temps et l’espace, comme la patine d’un gong japonais le rappelle Pour autant, pour le peintre, les temps très anciens (Préhistoire, Mésopotamie, grottes kabyles, etc), anciens (art roman, fresques, primitifs italiens, etc) qui le captivent intellectuellement s’écartent vite des présupposés propres à la connaissance et du sens historiques pour se confondre à l’espace poétique, à l’inconnu. « Je ne crois pas qu’il soit possible à un peintre d’oublier complètement l’expérience poétique qui l’a conduit au tableau achevé et de juger son œuvre comme le spectateur auquel elle est destinée. Il en est l’interprète nécessaire pour que ce travail devienne œuvre d’art » affirme Soudages en 1953 ». 1 Rappelant sans cesse que ce qu’il fait lui apprend ce qu’il cherche, son œuvre de 1946 à 2022 répond à l’appel de la liberté. On a dit Soulages réfractaire, je le vois plutôt autonome, dans son propre mouvement.
Revenant aux eaux-fortes de Soulages, elles se mesurent difficilement à d’autres productions, sauf celles d’Eduardo Chillida restituant la sculpture sur la feuille imprimée, une sorte de tectonique des plaques ou celles de Pierre Courtin, buriniste d’exception et aquafortiste subtil, avec des juxtapositions de plans et de la matière granuleuse. D’une manière générale, Soulages qui se méfie de l’estampe comme illustration -une figure convenue des livres d’artistes- cherche dans la technique l’invention et le contrepied, comme le firent avant et après-guerre William Hayter, l’Atelier 17, ses nombreux peintres expérimentateurs.
L’ensemble des estampes de Pierre Soulages quelque-en soit la technique (1952-2008) jouit de cette intense liberté, liberté associée à sa présence physique dans l’atelier, avec les ouvriers-imprimeurs. Il n’est pas de ces artistes qui laisse faire et intervient au dernier moment, pour simplement accepter ou refuser, pour signer. Soulages a travaillé avec de nombreuses personnalités, de l’éditeur à l’ouvrier, sous la conduite du patron d’atelier, comme Roger Lacouriére, Jacques Frélaut, Alain Lambilliotte, André Moret, Fernand Mourlot, Heinz Berggruen Michel Caza, Bernard Frize… Soulages nous avouait un jour que la technique qui le tentait encore était celle de la xylographie, l’art du bois gravé. Il n’eut ni le temps, ni l’opportunité de l’éprouver: on imagine ce qu’auraient pu être, après 1979 et la découverte de la peinture Outrenoir, des gravures sur bois, avec l’apparition des aplats de noir et le rendu des veines, des enlèvements, des accidents…
Une autre manière pour le peintre de travailler au couteau.
Le musée Soulages à Rodez possède la totalité de l’œuvre imprimé du peintre soit 143 numéros (tous les tirages) présentés par roulement dans le cabinet des estampes. 2 Les oeuvres présentées, la grande donation de Pierre et Colette Soulages de 2005, sont essentiellement des épreuves d’artiste, des feuilles dédicacées, des épreuves avec des variantes de couleurs -pour les lithographies-, des essais avec des remarques. Il dispose aussi de 31 matrices pour les eaux-fortes, sur cuivre et sur acier. Elles figurent régulièrement aux côtés des épreuves correspondantes. On affirmera sans difficulté qu’elles ont changé de statut, de matériels d’impression à œuvres d’art : Pierre Soulages, dès 1975 agrandissait ces matrices en trois impressionnants bronzes polis. 3 Le peintre Soulages n’a eu de cesse de présenter les œuvres avec un nécessaire volet pédagogique, pour éclairer les procédés techniques : comment et avec quels outils ?
Pour la présentation en cabinet des estampes, dépourvues de « marie-louise » (des passe-partout), selon la volonté de Soulages, les estampes sont très accessibles à l’examen et l’admiration des visiteurs dans des vitrines-cimaises ou des vitrines tables, sur un fond noir dans un environnement sensiblement obscurci (45 lux) Les livres d’artistes auxquels Soulages a participé se voient aussi exposés par roulement, actuellement les Élégies majeures de Léopold Sédar Senghor (1978) ou Sur le mur d’en face (1979), Une presse à taille-douce provenant de l’atelier Lacouriére-Frelaut va être prochainement installée dans le cabinet des estampes. 4 De dimensions raisonnables, mobile, elle se prêtera à la réalisation sur place et en public des gravures avec des artistes invités. Le cabinet des estampes du musée Soulages inauguré en 2014 a bénéficié d’une scénographie sobre et flexible, conçue par notre cabinet d’architectes catalan RCR arquitectes et le scénographe Philippe Maffre.
Ce cabinet des estampes est avec la Bibliothèque nationale de France, le seul lieu de conservation de la totalité de l’œuvre imprimé. A la différence près que la présentation y est pérenne. Certains visiteurs, des amateurs d’estampes impatients, privilégient cette collection à celle des peintures qu’ils découvrent ensuite. Pierre Soulages admirait particulièrement Rembrandt dont on sait qu’il fut, à part égale, un remarquable peintre et aquafortiste. En 2020, pour célébrer le centenaire du peintre de Rodez, nous exposions au plus près de ses eaux fortes L’alchimiste daté d’environ 1652 (eau-forte, pointe sèche et  burin. Musée du Petit Palais, Paris) : il y règne un mystérieux et efficace rapport entre la lumière et le noir, rapport qui rapproche les deux hommes 5.

Benoît Decron, conservateur en chef du patrimoine,
directeur du musée Soulages, Rodez – epcc
18 juillet 2023.

NOTES
1 Pierre Soulages, « L’espace » , conférence au Collège philosophique,1953.
Dans Le Disque vert, Bruxelles, janvier-février 1954.
2 Par souci de commodité, on rassemblera par souci de commodité sous l’appellation
estampes, les gravures et les estampes. Soulages faisait la distinction Les nouveautés
techniques en matière d’impression nous encouragent à rassembler ces multiples
sous cette dénomination.
3 Bronze I, 1975, Bronze II, 1976, Bronze III, 1977. Tous trois visibles dans le
musée Soulages, Rodez.
4 Donation de la famille Frelaut au musée Soulages, Rodez en 2022.
5 Parcours : Pierre Soulages, le Louvre, etc 17 janvier – 31 août 2020. Double feuillet
imprimé. Y figuraient aussi les Caprices 1 et 2 de Goya, Le bord de la mer
à Palavas de Gustave Courbet, Le Prince de Gudea, statue mésopotamienne du
musée du Louvre, un lavis Tache d’encre de Victor Hugo…

Auteur(s) : Decron, Benoït - Talmann-Lindner, Antonia
Éditeur : Galerie Boisserée. Parution : 01/09/2023
ISBN: 978-3-938907-79-5