Soulages. スーラ ージュ展

ABSTRACTION. Extrait du texte d’Alfred Pacquement

PIERRE SOULAGES

Né en 1919 à Rodez.
Vit et travaille à Paris.

ABSTRACTION

« C’est le temps qui me paraît être au centre de ma démarche de peintre, le temps et ses rapports avec l’espace, jamais la figuration ou son contraire, la négation de la figuration ». Souvent reprise, cette déclaration de Pierre Soulages permet peut-être, mieux que nulle autre, de pénétrer au cœur de sa peinture. Car elle la situe — ceci est essentiel — hors de toute comparaison avec le monde environnant, de toute influence extérieure, mais dans un univers qui lui est propre, et qui ne se mesure qu’à travers ses dimensions temporelle et spatiale. L’un des malentendus principaux qui longtemps a pu peser sur ces œuvres et occulté les regards, était l’incapacité à comprendre qu’une peinture abstraite pouvait exister sans référence extérieure. Segalen dit encore des caractères « qu’ils ne réclament point la voix ou la musique. Ils n’expriment pas, ils signifient, ils sont ». Comment comprenait-on en effet l’abstraction au lendemain de la guerre, lorsque Soulages exécute ses premières œuvres ? Quand elle n’était pas rigueur géométrique, participant d’une toute autre démarche, la peinture non-représentative oscillait, pour simplifier entre deux voies : tantôt issue du système cubiste de désintégration de l’objet réel, elle était abstraction, portant bien mal son nom, puisque toujours en référence au monde extérieur : ou bien, plus ou moins directement influencée par le principe d’automatisme des surréalistes, elle restait représentation (certes moins réaliste mais toutefois représentation) d’un geste, d’un état d’âme, d’une atmosphère. (Qu’on songe à ces curieux amalgames tels que le paysagisme abstrait ou au spectacle anecdotique et dérisoire de certaines abstractions gestuelles).

En abordant la peinture sur un tout autre registre, l’œuvre de Soulages ne pouvait être, en dépit des échos favorables dont elle faisait l’objet, que mal comprise. Pas un entretien avec l’artiste où les questions ne revenaient comme un rituel : pourquoi ne pas peindre des formes reconnaissables ? la réalité peut-elle être absente de la peinture ? Comment communiquer sans représenter ? ou bien entendu la traditionnel « qu’avez-vous voulu exprimer ? » Et Soulages de répondre que « jamais la figuration n’a, à elle seule, pu exprimer la richesse du réel », que « le monde n’est plus regardé, mais vécu, ressenti »… « Cette peinture qui se passe de la figuration est cernée par le monde et lui doit son sens ». Autrement dit, une œuvre qui ne se réfère pas directement à la réalité environnante n’est pas pour autant hors du monde, ni acte de création gratuit. Soulages a pour sa part toujours été parfaitement conscient que son travail se situait hors de ce dilemme. Pas plus que sa peinture, ses propos n’ont fondamentalement varié depuis 1947, insistant avant tout sur des considérations d’ordre matériel, précisions techniques sur le support, le matériau, les mélanges, les outils, le format… répétant que viennent, sur la peinture, se faire et se défaire les sens qu’on lui prêtent.

Des années 50, même si dans le cas de Soulages toute généralisation paraît excessive, on retiendra d’abord que le signe va disparaître au profit de coups de brosse multipliés et créant des formes plus ouvertes. Peu à peu, la composition devient plus complexe, moins centrée dans l’espace : tantôt elle est répétitive, tantôt éclatée ou encore entièrement axée sur les diagonales. Mais l’on trouvera d’autres exemples où, au contraire, les barres posées perpendiculairement se trouvent dans l’axe de la toile. C’est donc plutôt l’importance accordée à la lumière et les méthodes employées pour la faire apparaître qui permettent de mieux décrire les peintures de cette époque. À l’intérieur d’une gamme colorée certes réduite, privilégiant les terres, les ocres, les noirs, Soulages use maintenant volontiers d’effets de clair-obscur. Il fait apparaître une couleur plus claire par arrachement, râclant plusieurs couches de peinture pour révéler des couches inférieures. Par le jeu des opacités et des transparences il fait sourdre la couleur-fond, et, venue de si loin, la lumière n’en paraît que plus intense.

Extrait : « Pierre Soulages, une incarnation picturale »,
par Alfred Pacquement. In cat. ‘’Soulages”, Seibu Museum de Tokyo, 1984.

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