Pierre Soulages et le Japon

I – CETTE VISION DE SÈTE, « C’ÉTAIT MON JAPON »

C’est un Japon inattendu que l’aveyronnais Pierre Soulages, mobilisé en 1939-1940, découvre sur les rivages méditerranéens :

Devant moi s’étendait une sorte de flaque de métal fondu, belle étendue éclairée par la lune : c’était l’étang de Thau. Je distinguais la silhouette du Mont Saint-Clair avec la mer pour seule ligne. J’ai pensé au mot de Van Gogh en arrivant à Arles :  » C’est aussi beau que le Japon. » Et pour moi, cette vision de Sète, c’était mon Japon. Au fond de moi, j’ai décidé que je reviendrai là un jour. »

Propos de Pierre Soulages recueillis par Matthieu Séguéla, in Soulages. D’une rive à l’autre, Actes Sud, 2019. Co-écrit avec Michaël de Saint-Chéron

 


II – LES TABLEAUX DE SOULAGES A TOKYO

« A l’occasion du Salon de mai organisé pour la première fois au Japon en 1951, Soulages expose une oeuvre remarquée : Peinture, 200 x 150 cm, 14 avril 1950 (ill. 1). Là comme en Europe, le néofauvisme domine alors parmi les artistes modernes nippons. Le style de Soulages tranche avec celui de ses contemporains : gamme chromatique limitée, formes hiératiques, larges lignes noires et signes impénétrables. Ces derniers attirent l’attention de Shiryu Morita et des calligraphes de son groupe d’avant-garde Bokujin, « les hommes de l’encre » qui apprécient particulièrement la Peinture 130 x 162 cm, 1952 (ill. 2). Entre 1953 et 1959, l’International Art Exhibition, biennale itinérante au Japon, sélectionnera quatre peintures de Soulages À la biennale de 1957, le Grand prix lui est attribué pour Peinture, 195 x 130 cm, 20 juillet 1956. »

Extrait de Matthieu Séguéla, Soulages. D’une rive à l’autre, Actes Sud, 2019. Co-écrit avec Michaël de Saint Cheron

Peinture 200 × 150 cm, 14 avril 1950

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  PDF Soulages et le Japon - 20202   PDF Soulages et le Japon - 20203

Crédits : collection particulière ; Milwaukee Art Museum, États-Unis ;

 


III – 1958, PREMIER VOYAGE DANS L’EMPIRE DES SIGNES

En janvier 1958, Pierre et Colette Soulages gagnent le Japon en provenance des États-Unis. Le peintre Zao Wou-ki les accompagne. Lors de ce voyage initiatique, les Soulages rencontrent à Tokyo les calligraphes du groupe Bokujin, le sculpteur et maître d’ikebana Sôfu Teshigahara et des collectionneurs avertis : Shôjirô Ishibashi, fondateur du musée Bridgestone (Artizon museum) et Soichirô Ôhara à la tête du musée d’art de Kurashiki qui, l’année suivante, fait entrer la première toile de Soulages dans une institution japonaise : peinture, 162 x 130 cm, 4 mai 1959 (ill.1).

À Nara et à Kyoto, les révélations esthétiques se succèdent pour le peintre attiré par l’architecture traditionnelle en bois des temples (Todai-ji, Shosoin, Kiyomizu) et des résidences impériales (Katsura rikyû). Au Pavillon d’or, ce sont la disposition des rochers dans le lac et le rapport à l’espace qu’ils dessinent qui le séduisent. De même que le fameux jardin sec du Ryōan-ji voisin. Il aime ce rectangle parcouru de sillons de fin gravier, cet espace né de l’agencement des pierres. « C’est de l’art », résume-t-il évoquant son « émotion infinie ». Cet homme qui a grandi entre « l’église de Conques, les menhirs dans les champs et les arbres nus de l’hiver » a retrouvé là un peu de son Aveyron : « Quand j’ai vu Ryōan-ji et Kinkaku-ji à Kyoto, cela m’a rappelé mes souvenirs d’enfance. » Et de conclure que « l’art véritable n’a ni frontière, ni temporalité ».

Matthieu Séguéla, in Soulages. D’une rive à l’autre, Actes Sud, 2019. Co-écrit avec Michaël de Saint Cheron

Pierre Soulages au temple de Daisen-in, Kyoto, 1958. Photographie par Colette Soulages

Peinture 162 x 130 cm, 4 mai 1959

Pierre Soulages,162 x 130 cm, 4 mai 1959 – Ohara Museum of Art, Kurashiki.

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IV – L’OUTRE-NOIR AU PAYS DE LA LAQUE

Après plusieurs expositions collectives au Japon, une rétrospective est consacrée à Pierre Soulages au musée d’art Seibu de Tokyo en 1984 à l’initiative du mécène Seiji Tsutsumi. Le public est au rendez-vous. L’artiste français trouve les Japonais sensibles à la modernité de son travail et moins réticents que d’autres à accepter l’art abstrait. La nouveauté parmi les 45 œuvres exposées sont des peintures monopigmentaires qui réfléchissent la lumière : les Outrenoirs.

Comme dans le cas des œuvres de Soulages des années 1940-1950 associées à tort à la calligraphie, ces Outrenoirs sont l’occasion d’un nouveau rapprochement avec l’art traditionnel de la laque. A ceux qui l’interrogent sur cette similarité, Soulages rappelle que des points communs ont toujours existé entre l’Occident et le Japon. Il cite Toulouse-Lautrec s’intéressant à l’art de l’archipel et s’en inspirant. « Ce n’est pas mon cas dit-il. Je m’intéresse depuis longtemps à l’art japonais que j’aime mais il n’y a pas d’influence. Je n’ai su qu’après que j’avais des choses pouvant sembler proches.»

En 1992, le Praemium Imperiale, le “Nobel de l’art japonais”, est décerné à Pierre Soulages à Tokyo. Cette prestigieuse reconnaissance est suivie en 2000 par une création originale de l’artiste : un vase réalisé à la demande du Président Jacques Chirac qui offre au Japon un trophée pour le grand prix du sumo. Une œuvre mêlant le noir, l’or et des nuances de gris que le public peut désormais admirer au musée Soulages avec le soutien des Amis du musée Soulages.

Matthieu Séguéla, in Soulages. D’une rive à l’autre, Actes Sud, 2019. Co-écrit avec Michaël de Saint Cheron

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Rétrospective de 1984 à Tokyo, Praemium imperiale (1992)

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Vase Soulages (2000)