Tout mon temps – Révisions de ma mémoire – Pierre Daix – Librairie Arthème, Fayard, 2001 – extraits

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p.312
à une découverte datant de l’automne 1949. Guillevic m’avait conduit dans une petite galerie pour voir des peintures d’un inconnu qu’il voyait faites, me disait-il, pour quelqu’un ayant passé autant d’années que moi en prison. C’est ainsi que j’ai vu des toiles de Soulages chez Lydia Conti.
Imposantes, avec de grands et puissants signes noirs sur fond sombre, elles créaient une fermeture angoissante, franchie par des trouées de lumière. La traduction pénitentiaire de Guillevic introduisait un symbolisme réducteur. Ces peintures abstraites me pénétraient. Un peintre de mon âge m’y apportait un espace illimité, une forme de transcendance. Je voulais que cet art fût partagé par mes camarades, mais je ne savais comment m’y prendre. Je ne pouvais en parler à personne, pas même à Guillevic, inquiet de m’avoir conduit là. J’apprendrais plus tard de Roger Vailland qu’il fut aussi secoué que moi par ce peintre.
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p.504
Voici une trentaine d’années, Pierre Soulages faisait remarquer à Pierre Schneider que, « dans l’art figuratif, le monde est là sous forme d’apparence; dans l’art non figuratif, il y est sous forme d’expérience. Le réel, c’est l’ensemble des relations que nous avons avec le monde.
L’apparence n’est qu’une de ces relations, et des plus superficielle ». Dans ces propos-là j’entends ce que j’ai vécu.
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Pierre Daix

Tout mon temps: révisions de ma mémoire
Pierre Daix
Fayard, 2001
ISBN  2213608598, 9782213608594
525 pages