« Very Nice »

 par Pierre Duterteauteur de « Soulages. Au fil de l’amitié »

 

Accompagnant son centenaire, plusieurs expositions d’ampleur nous permettent de retrouver l’œuvre de Pierre Soulages.  Après le Salon Carré du Louvre, le Centre Pompidou, le musée Fabre de Montpellier, voilà Nice qui accumule un grand nombre d’œuvres et les propose dans l’espace Lympia, offrant aux visiteurs une partie du spectre des 100 années-lumière de cet artiste majeur.

Il sera donc possible jusqu’au 19 avril 2020 d’apprécier le tour de force qu’à dû être, pour le Commissaire de cette exposition, de faire entrer et d’aligner, dans l’espace contraint d’un ancien bagne autant d’œuvres de cet artiste majeur. Est-ce pour se mettre à l’unisson de l’âge de l’artiste que plus de 100 œuvres sont alignées ? Toiles, lithographies, gravures offrent aux « regardeurs », un panorama de près de 80 années de recherche et d’exploration ; mettant en évidence l’évolution du travail de cet artiste, ses incessantes quêtes et ses remises en question permanentes.

Une fois la porte d’entrée passée et laissée derrière soi l’éclatante lumière du Quai Entrecasteaux, il faut laisser aux yeux le temps de l’accommodation pour accéder à la lumière proposées par les oeuvres ; et ne reste plus alors qu’à accepter l’invitation faite par Pierre Soulages de la possibilité d’entrer dans l’espace de ses toiles et de se confronter à son travail sur papier.

Peut alors commencer un voyage dans le monde de ce perpétuel chercheur, de cet explorateur du Chant intérieur, mais aussi une rencontre avec nos propres émotions.

Au fil de cette exposition qui propose des œuvres « rares », certaines n’ayant que rarement été présentées, apparaît de façon évidente l’un des moteurs de la quête ininterrompue de Pierre Soulages, pousser toujours plus loin les idées qui surgissent, qui se développeront, peut-être.

Cet aventurier n’a cessé d’avancer et continue à cheminer en affrontant la radicalité de ses engagements, nous proposant un face à face avec son œuvre, une confrontation avec sa présence, la possibilité d’une incursion dans son espace.

Dans cette galerie est aussi mise en évidence l’importance des matériaux et techniques utilisés (brou de noix, peinture, gravure etc.), des outils façonnés pour parvenir, à un moment précis, à ce qu’il pressentait qu’il pourrait advenir.

Pour parachever ce panorama de l’œuvre de Pierre Soulages, l’extrémité d’une salle offre quelques repères en pointillé sur le chemin de cet artiste-philosophe-érudit. 

La plus émouvante est surement cette statue-menhir prêtée par le musée Fenaille de Rodez, quand on sait l’attachement de Pierre Soulages à ces hommes préhistoriques, peignant au fond de grottes obscures. 

Voisins de cette statue un masque Dogon, une sculpture Mezcala, cohabitent avec des œuvres de Zao Wou-Ki, Picasso, Hartung, Klein etc. 

Un joli dialogue murmuré dans cet espace.

Comment ne pas ressentir, dans ce lieu où se côtoient tant d’œuvres, le besoin vital qui n’a cessé de pousser cet artiste à ne jamais s’arrêter d’arpenter ce chemin entamé dès 1946.

Chemin dont il n’est jamais sorti, qu’il sillonne avec un esprit attentif, précis, rigoureux, loin des compromis, utilisant son outil majeur, la lumière et surtout ne montant jamais sur le tapis roulant de la facilité.

Espace est l’un des mots qui ne peut manquer de venir à l’esprit quand on s’intéresse à son travail. Cet espace de la toile qui se crée, et dans lequel le « regardeur » peut choisir d’entrer, pour que s’impose ce triple rapport entre la chose qu’est l’œuvre, celui qui l’a produite et celui qui la regarde.

Il est extraordinaire de voir que l’âge ne fait rien à l’affaire, Pierre Soulages demeurant inlassablement en prospection, sa propre mise en question restant là, au quotidien ; il ne cesse de se mettre encore et toujours en danger, ce qui a permis au Louvre de présenter dans le Salon Carré, trois grands-formats (4 mètres) créés fin 2019 !

Quel plaisir, quel bonheur que de l’entendre toujours dire en 2020 « l’important, c’est la toile que je ferai demain ».

Paris, le 21 février 2020