Pierre Soulages – Crédit Lyonnais

17 avril > 26 avril 1968

Note rédigée en août 2002 par Joël Gilles, responsable de l'exposition

En 1968 (du 17 au 26 avril) Pierre Soulages expose un choix de peintures au sein d'une entreprise : le CRÉDIT LYONNAIS. Répondant favorablement à l'initiative des organisations syndicales du Comité d’Établissement, Pierre Soulages saisit l'originalité de la démarche : faire découvrir à un public nouveau, ne fréquentant pas (ou peu) les musées et expositions artistiques, le travail d'un créateur contemporain. Véritable défi (nous sommes en 1968 n'oublions pas) : le peintre expose au sein même du siège central de Paris où travaillent cinq mille salariés.

Pierre Soulages sélectionne un choix de toiles et procède lui-même à leur accrochage en tentant d'utiliser au mieux les possibilités des plus restreintes d'une salle peu propice à ce genre de manifestation (baies vitrées, éclairage néon…). Surmontant les difficultés d'ordre technique avec astuce et détermination il donne des directives précises (voir schéma) aux organisateurs. Désirant respecter à la fois le public et son travail Pierre Soulages veut "donner à voir" dans les meilleures conditions.

À l'heure du déjeuner (la salle d'exposition jouxte le restaurant d'entreprise) et pendant deux semaines les salariés de la banque découvrent, voient, revoient cette peinture pour eux inconnue. Les discussions s'entrecroisent devant les toiles : "ça représente quoi ? un voilier ? (peinture 81 x 65 cm du 22/09/61). Le peintre, quel âge a-t-il ? Il utilise beaucoup le noir : il doit être pessimiste !…". Les adhérents du " groupe peinture "de la banque sont dans leur majorité les plus fermés à ce type de peinture qui ne "représente" rien et apparaît donc comme la négation de leur pratique d'amateurs.

Tenu informé de ce phénomène de résonance, Pierre Soulages accepte - et cela aussi est une "première" - d'échanger et de dialoguer avec le public à la fin d'une journée de travail. Plus d'une centaine de salariés participe, dans le lieu même de l'exposition, à cet échange avec l'artiste (le critique d'art Georges Boudaille présente le travail de Pierre Soulages au sein du mouvement de la peinture moderne). Echanges éclairants, surprenants, fructueux avec la salle : Pierre Soulages parlant de LA peinture, répondant simplement et clairement à des questions ou interrogations parfois embarrassées : sur la place prépondérante du noir dans son œuvre ? (je ne suis pas un homme triste, vous le voyez. En Chine, le blanc est signe de deuil). Le sujet en peinture ? (les pommes de Cézanne : de "vrais" fruits ? non, vous ne pouvez les croquer C'est de LA peinture). Figuration / Abstraction ? (l'image en peinture est illusion, fiction). La réalité ? c'est ce rapport entre celui qui a peint ces toiles-là : moi Soulages, ces toiles ici autour de nous et VOUS qui les regardez. Peindre pour moi est une nécessité personnelle. Mais c'est VOUS qui décidez de la signification de mes toiles et c'est là que s'épanouit votre liberté de spectateur. Pendant plus de deux heures Pierre Soulages surprend, subjugue et conquiert son public. Ce soir-là nombre d'idées acquises ont été battues en brèche et le champ de réflexion de chacun bouleversé. (Cette soirée fut enregistrée par Georges Boudaille qui, accidentellement et malheureusement, effaça la bande lors de son traitement).

Quelques jours plus tard d'autres "événements" marqueront notre Histoire.

 

Liste des œuvres exposées incomplète

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